17.12.13

Prostitution: le modèle suédois choisi par la France


La France compterait environ 20 000 prostitués, dont 85 % de femmes. Les clients sont des hommes dans 99 % des cas. La loi qui vise à pénaliser le client et non plus la prostituée pour "délit de racolage" a été finalement adoptée par nos députés début décembre malgré des débats animés dans l'opinion. Cette loi a été largement inspirée par la Suède où ce modèle abolitionniste est en place depuis 1999.
Pour les détracteurs, cette loi serait un frein à l'exercice de la liberté de se "servir" de son corps comme on le souhaite pour en retirer de l'argent. La prostitution serait un métier "comme un autre". Ou encore une menace à la liberté sexuelle de certains (manifeste des salauds) dans le cadre d'une relation tarifée mais en consentement mutuel. Si consentement mutuel il y a, alors pourquoi payer pour cet "acte" consenti? La prostitution est-elle vraiment un métier comme les autres qu'on doit réglementer comme tel? si c'était le cas, de nombreux parents rêveraient que leur fille exercent ce métier... Combien de prostituées sont fières et assument leur "métier"? S'il ne s'agissait que de liberté sexuelle, cette question ne ferait pas débat. La notion du consentement n'est pas acquise...les 3/4 des prostituées exerçant sous la contrainte, on ne peut pas parler de "consentement". 

Notre modèle de société est en jeu
Il est évident qu'on touche à une question morale. Il s'agit de lutter contre la prostitution pour sauver la "dignité humaine". La prostitution est une violence faite aux femmes. Quand la société considère que le corps des femmes peut être une marchandise comme une autre, cela ne permet pas de penser les rapports entre les femmes et les hommes de façon égalitaire. 

Est-ce qu'on rêve que sa fille devienne prostituée? Est-ce qu'on rêve que son fils devienne acheteur de sexe? Parce que les femmes et les hommes doivent avoir la même valeur. 
Lise Tamn - procureure au parquet international de Stockholm

Il s'agit donc aussi de savoir de quel modèle de société nous voulons. 

Ce sera l'effort de l'éducation d'une société toute entière: garçons et filles sont égaux et on n'achète pas une relation intime avec un autre. Cela doit être réciproque, 2 individus qui se choisissent en dehors de tout rapport marchand. 
Lise Tamn - procureure au parquet international de Stockholm

Tout le monde s'accorde à dire que l'état doit légiférer. On parle d'ordre public dans un premier temps. Oui c'est pas beau à voir en bas de chez soi la prostitution. Mais il n'y a pas que ça. Oui les politiques doivent s'en mêler car ils nous représentent pour définir le modèle de société dont nous rêvons. Alors, comment faire? "Punir"? Qui? La prostituée? C'est comme ça aujourd'hui en France. Résultat, les prostituées se cachent de peur d'être arrêtées par la police. Les clients? En les "punissant" il y a un jugement moral certes. Mais que faire, alors? 

La prostitution est un marché à 3 milliards de dollars
Regardons le problème de manière moins moralisatrice. Répondons au problème de manière plus objective sous l'angle économique. La prostitution est un marché. L'ONU estime à 140 000 le nombre de victimes d'exploitation sexuelle en Europe, avec une période d'exploitation moyenne de deux ans. Ce qui représenterait un marché potentiel de 3 milliards de dollars selon une étude de 2010 de l'office des nations unies contre la drogue et le crime.

Comme tout marché, l'offre ou le produit (les prostituées) et la demande (les clients). Ecoeurés? Bah oui, triste réalité ou la prostitution loin de la liberté sexuelle de mai 68 est avant tout l'exploitation d'êtres humains pour l'assouvissement d'envies sexuelles. Pour réduire ce "marché" à néant,  il faut tarir l'offre. Tout le monde est d'accord pour condamner le proxénétisme, non? et donc la prostitution qui en découle. Tarir l'offre, c'est donc chasser les clients qui alimentent et attisent le marché de la prostitution.

Comme le disait un policier suédois dans un reportage sur Arte, "c'est la demande (donc le client) qui crée le marché. Il n'y aurait pas de prostitution pas de traite des êtres humains s'il n'y avait pas de clients. L'achat de services sexuels et la criminalité organisée sont forcément liés. En fait, ce sont les clients qui rémunèrent les proxénètes" Voici l'essence même de ce projet de loi qui a pour résultat, la condamnation des clients et non des prostituées. A l'heure où tout le monde sait que les 3/4 des prostituées sont étrangères, sous le contrôle de leur proxénète, il faut arrêter l'hypocrisie, cette loi tombe sous le sens! Bien plus logique de ne pas la sanctionner elle! Mais plutôt favoriser les conditions de sa réinsertion si elle le souhaite et lui proposer de collaborer en échange pour remonter jusqu'au proxénète. Le client n'est donc pas l'unique objet du texte en cours d'examen. Il est important de rappeler qu'il s'agit, parallèlement, d'offrir aux prostituées les moyens d'en sortir. Quant au client, vu qu'il prône la liberté sexuelle par consentement, il peut aller rompre sa solitude ou sa "misère sexuelle" et faire des rencontres en boîte. Peut-être que ce sera d'ailleurs plus gratifiant pour lui de ne pas avoir à payer pour...Là encore plus que d'un jugement moral il s'agit d'un modèle de société: ça ne doit plus être considéré comme "normal" que de payer pour un acte sexuel.

Sanctionner le client prostitueur, c’est inscrire dans la loi et dans les mentalités que les femmes, les corps et les relations sexuelles ne sont pas des marchandises. Dans un sondage TNS Sofres paru le 30 octobre 2013, 73% des personnes interrogées pensent que la lutte contre la prostitution passe par la responsabilisation des clients.

Mettre fin aux mythes
Le 5 novembre 2013, la procureure au parquet international de Stockholm est intervenue auprès de la Commission spéciale prostitution. Lors de son intervention, Mme Lise Tamn a démonté de manière originale et avec humour, les mythes autour de cette loi.

La prostitution deviendra clandestine
"C'est déjà le cas, la majorité sont des étrangères qui se sont fait "importées" chez nous, par des proxénètes. Or le proxénétisme est interdit, non? La prostitution passera du trottoir à l'hôtel. Ca reste de la criminalité organisée.
Avec la suppression du délit de racolage, justement en cas de violence la prostituée aura moins peur d'aller voir la police...et la police aura une chance de remonter vers le proxénète."

Les violences sexuelles vont augmenter
"Les violences sexuelles sont plus importantes dans les pays où il y a davantage d'inégalités entre les hommes et les femmes (inde, Afrique...). Malheureusement il y en aura toujours..."

Il y aura moins de clients, ça va menacer le business des prostituées indépendantes
"Oui il y aura moins de clients. Parce que la prostitution diminuera: c'est l'effet recherché non? Démanteler les réseaux de proxénètes.
Celles qui sont indépendantes, elles font ça par choix, elles ont leurs petits clients habituels, ça n'intéresse pas la police. Ce qui intéresse la police ce sont les réseaux de proxénétisme qui exploite les personnes vulnérables."

La prostitution va se reporter sur Internet
"Même si ça s'accentue, c'est déjà le cas. La surveillance de la police sur Internet trouvera les réseaux criminels de traite qui se servent d'Internet pour exposer leur marchandise: les prostituées."

La prostitution va disparaître grâce à la législation
"Non. Pas plus que l'usage de drogues. Voilà pourquoi il faut aussi interdire la prostitution. C'est une question de droits de l'homme, droits des femmes, droits humains et une question d'égalité hommes femmes. Si c'était normal on verrait autant de femmes que d'hommes se prostituer, on verrait autant d'hommes que de femmes acheter aussi."

Qu'est-ce qu'on fait de la misère sexuelle?
"Je ne crois pas que la misère sexuelle va être résolue avec la prostitution. Si on est malheureux, c’est pas la prostitution qui va vous sauver. Si on est malheureux dans son mariage, bon ben on trouve une autre solution. On peut trouver un amant, on peut trouver une maîtresse. C’est pas illégal, les gens font ce qu’ils veulent. Mais c’est pas la prostitution qui va résoudre ça.  »

Qu'est ce qui a changé en suède ?*
En Suède, le pays précurseur, l'interdiction de l'achat d'acte sexuel, adoptée le 4 juin 1998, s'accompagnait d'une série de réformes visant à lutter contre les violences faites aux femmes. La peine encourue établissait une amende ou une peine de prison d'un maximum de six mois, avec la possibilité de s'en exonérer si le client dénonce à la police un réseau de proxénétisme. La prostitution elle-même demeure légale. Les prostituées sont considérées comme des victimes de violences, même avec leur consentement. Depuis le 1er juillet 2011, la peine maximale des clients pris sur le vif a été alourdie à un an de prison.

Selon les estimations du ministère de la Justice, le nombre de prostituées suédoises a été réduit de 40 % entre 1999 et 2002, passant de 2 500 à 1 500 péripatéticiennes. Aujourd'hui, il ne resterait que "quelques centaines de personnes prostituées dans les rues", relève Maud Olivier dans son rapport, citant les mêmes sources suédoises. Elles bénéficient des droits sociaux et de l'accès à la santé, mais leur activité ne leur permet pas d'accumuler des droits au chômage, à la retraite, ou à l'indemnisation des arrêts maladie. En revanche, elles peuvent accéder à une formation professionnelle afin de quitter le monde de la rue. Des centres d'accueil spécialisés ont été mis en place.

En treize ans, 4474 hommes ont été appréhendés et ont payé des amendes de 250 à 1000 euros calculées en fonction de leur revenus mais aucune peine de prison n'a été prononcée. Avoir recours à la prostitution ets d'ailleurs devenu une honte en suède. Les "clients" sont d'ailleurs surnommés les "torskar" ("ratés" ou "morues" en argot). Une aide psychologique leur est proposée. La loi est avant tout un "signal" envers les clients et les proxénètes selon les autorités suédoises.

Les féministes s'accordent pour dire que la prostitution n'a pas disparu mais qu'un message important a été délivré à la société suédoise : le corps d'une femme n'est pas une marchandise. 70 % de la population suédoise est satisfaite de la loi (contre 30% au moment de son vote) et un chiffre encore plus élevé auprès des jeunes pour qui acheter un acte sexuel n'est pas normal.

Les résultats attendus sont donc bien là: une diminution nette de la prostitution et les moeurs qui ont changé. Et quand on regarde ce qui se passe en Allemagne, on est de plus en plus convaincu que le modèle suédois est bien plus efficace pour lutter contre la prostitution. Là-bas, la prostitution est légale depuis 10 ans. En 10 ans le nombre de prostituées a doublé et le nombre de prostituées roumaines a augmenté de plus de 50%. Seulement 25% des prostituées en Allemagne sont allemandes contre 75% en 2001. La législation n'a pas pu empêcher cette tendance. A noter aussi que moins de 1% des prostituées allemandes bénéficient d'un contrat.


Que contient la loi française ?
Selon un article de Libération, voici les changements sur la loi actuelle (extraits) :

• Les clients ayant recours à la prostitution d’une personne majeure pourront écoper d’une contravention de 5e catégorie de 1 500 euros. En cas de récidive, la sanction a été alourdie lors du débat vendredi, cela sera désormais un délit puni de 3 750 euros d’amende.

• Un peu sur le mode des infractions routières, un «stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels» va être créé. Cela pourra être une peine alternative ou complémentaire, payée par le client, auprès d’associations agréées (qu’on ne connaît pas encore). 

• Mesure symbolique de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, le délit de «racolage passif», instauré par la droite en 2003, va disparaître. Ce délit était passible de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. De manière générale, dans l’esprit de la loi, de prostituées coupables, on passe à prostituées victimes.

• Un fonds «pour la prévention de la prostitution et l’accompagnement social et professionnel des personnes prostituées» sera créé. Le gouvernement s’est engagé à le doter de 20 millions d’euros. «Désormais, les prostitués auront le droit à une véritable alternative», s’est enthousiasmée mercredi Ségolène Neuville, députée PS. 

• Une autorisation provisoire de séjour de six mois sera délivrée pour les prostituées étrangères victimes de proxénétisme et «engagées dans un parcours de sortie de la prostitution». La mesure existait précédemment, mais elle était en contrepartie d’une collaboration contre les réseaux de traite.

• Les fournisseurs d’accès à Internet devront empêcher «l’accès aux sites hébergés à l’étranger qui contreviennent à la loi française contre le proxénétisme sur demande de l’autorité administrative».


Sûre que cette loi fera encore parler d'elle. Les mesures d'accompagnement des prostituées seront-elles à la hauteur? La prostitution va-t-elle diminuer? Avant la mise en place, reste encore l'examination du projet de loi en juin 2014. Mais moi en tout cas, je suis maintenant persuadée, grâce à la préparation de cet article et aux nombreuses lectures que j'ai faites que la Suède est un bon modèle.

* source lepoint.fr

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